lundi 25 octobre 2010

Pour éviter le réchauffement climatique, il suffit de compenser

FAUX
Sur le circuit automobile de Melbourne, le 28 mars dernier, les pilotes de formule 1 pouvaient foncer la conscience tranquille. Le Grand Prix d'Australie avait prévu de "compenser" le gaz carbonique émis par les bolides. Concrètement, les organisateurs financeront des projets écologiques contribuant à réduire les émissions de CO2 à proportion de la pollution engendrée par la course. Idéal pour se racheter une conduite.
Jean-Louis Borloo, le ministre de l'Ecologie, le photographe Yann Arthus-Bertrand et quelques stars du cinéma agissent de même quand ils prennent l'avion : 2 centimes d'euro par kilomètre parcouru serviront à planter des arbres, à remplacer des centrales à charbon par des fours solaires ou à bâtir des éoliennes. En réalité, ces nouvelles "indulgences" tiennent du gadget (voir le numéro spécial de Politis : "Voyager sans avion").

Une forêt plantée en 2010 ne sera efficace que dans 100 ans :D'abord, la compensation ne peut pas fonctionner à grande échelle. Pour l'instant, le "poids" du CO2 "capté" dans le monde par ce processus est de 50 000 tonnes, l'équivalent de toutes les émissions de deux régions françaises. Dans un monde de gentils "compensateurs", les bonnes volontés individuelles pourraient représenter, en 2020, au grand maximum 7 % des émissions de carbone, d'après les calculs de l'organisation Ecosystem Marketplace.
Les extrapolations du consultant Jean-Marc Jancovici, spécialiste de l'effet de serre, confinent même à la déprime carbonique : pour compenser les émissions de CO2 en excès, il faudrait planter des arbres sur 15 millions de kilomètres carrés. Ou reboiser quatre fois la superficie de l'Union européenne. "Cela implique de planter sur des terres agricoles. Bon courage pour le chef de projet", conclut Jancovici.
Conscients de cette limite, les compensateurs se tournent maintenant vers le vent, et plantent des éoliennes. Un bon substitut, mais les hélices prennent aussi de la place : il faudrait 1,5 million de mâts. "Vu les espaces nécessaires à la compensation, les riches du Nord délocalisent leurs projets dans le Sud", regrette Augustin Fragnière, chercheur en sciences de l'environnement à l'université de Lausanne et auteur de La Compensation carbone : illusion ou solution ? (PUF). Un sérieux problème de place, mais aussi de temps : "Les compensateurs achètent des réductions de CO2 par anticipation. Une forêt plantée de nos jours captera du carbone dans un siècle."
"La compensation conforte les consommateurs dans leur philosophie hédoniste : ils brûlent aujourd'hui chez eux et réparent plus tard ailleurs", renchérit Augustin Fragnière. Et, un peu comme dans l'immobilier, financer un puits de carbone "sur plan" peut réserver de mauvaises surprises. Dans le cadre de sa tournée labellisée "neutre en carbone", en 2006, le groupe de rock Cold Play a financé la plantation d'une forêt de manguiers dans le sud de l'Inde. A cause du manque d'eau, elle ne piège que quelques grammes de carbone.
Il existe même de "faux" projets. Plus précisément, l'annonce de compensations qui, en réalité, ne sont que des projets déjà en cours de réalisation, alors que le mécanisme de la compensation implique une création ex nihilo.
Selon l'ONG International Rivers, 89 % des 400 projets hydroélectriques chinois présentés comme des initiatives de compensation étaient presque achevés. Autrement dit, la compensation n'est pour rien dans la conception de ces barrages. Elle profite surtout à leurs concepteurs, ravis de recevoir une aide. La compensation ne piège pas que le carbone.

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